[Critique] La Loi du marché, confrontation sociale

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Présenté à Cannes en 2015 et en lice pour les prochains Césars, La Loi du marché a fait beaucoup de chemin. Son histoire n’a en effet pas de quoi laisser indifférent tant elle peut nous parler. Thierry, 51 ans, père d’un garçon handicapé mental est au chômage après le plan de licenciement économique de son entreprise. A nouveau sur le marché de l’emploi, il accumule les rendez-vous inefficace à Pôle Emploi et les formations inutiles, tout ça pour passer un entretien d’embauche sans suite par Skype.

Quête sans espoir

Autrement dit, c’est le parcours du combattant pour Thierry qui a beau mettre tous les moyens de son côté. Stéphane Brizé montre avec attention ce passage semé d’embuche pour mieux dénoncer les défaillances existantes. Finissant par trouver un poste de vigile dans une grande surface, une nouvelle analyse cette fois-ci du monde du travail vu de l’intérieur va commencer. Sa nouvelle fonction le met dans une position inconfortable. En plus de surveiller les clients, les employés font également partie de ses cibles potentielles. Une méfiance qui l’oblige à en dénoncer certains pour des délits insignifiants. Ces pratiques existant dans la réalité, le film confronte le spectateur directement aux faits. Collant au plus près de la vraie vie, l’aspect documentaire accentue la frontière déjà floue entre fiction et réalité. La part de réalisme se prévaut aussi par les non-professionnels jouant leur propre rôle au côté de Vincent Lindon, seul acteur présent dans le film.

La caméra colle au visage de Vincent Lindon. Laissant transparaître sa tension, son inquiétude, son envie, sa détresse, ses désirs au gré des épreuves. Un rapport corps à corps avec l’image, rude et impassible, sans filtre pour un message direct cherchant à réveiller les esprits. Car le spectateur s’immerge complètement. Il n’est pas là pour simplement regarder mais agir. Le film ne doit pas laisser indifférent.

La Loi du marché n’est pas seulement voué à donner une réflexion sur son sujet et à établir des conclusions. Mais à faire réfléchir, affichant les pratiques humiliantes du système de ces entreprises de façon brutale, provoquant inévitablement une réaction. L’aspect froid du film ne fait que de renforcer la dureté de la réalité de ces employés et le rapport de confrontation avec les supérieurs hiérarchiques. La facilité avec laquelle ces pratiques de surveillance entre employés se sont banalisées laisse transparaître les maux  d’une société n’obéissant qu’à la loi du marché.

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De Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, Karine de Mirbeck,…  France, 2015, 1h33

Sortie en DVD le 7 octobre 2015, édité par Diaphana

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[Critique] Jack, l’enfant adulte

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Dès le départ, le film Jack impose son rythme. On y voit un jeune garçon très pressé, organisé, et surtout présent sur tous les fronts. Que ce soit pour préparer le petit-déjeuner à son petit frère, pour lui faire prendre son bain, s’occuper du linge sale ou de la cuisine. Ce quotidien effréné fait alors ressentir l’absence d’un personnage. Celle de la mère.

Quand Jack l’a retrouve au début du film, c’est au parc entouré de ses amis. Par son attitude, on pourrait très bien croire qu’elle n’est pas sa mère. Et pourtant. Bien qu’inconsciente du rôle qu’elle doit jouer auprès de ses deux enfants, la jeune Sanna montre son affection envers eux. Débrouillard et livré à lui-même, Jack reste malgré tout très attaché à sa mère, au point de jeter les vêtements d’une de ses conquêtes pour qu’elle reste avec lui. Ce geste est un signe pour montrer qu’il existe et qu’il voudrait que sa mère s’occupe plus de lui, car ce n’est encore qu’un enfant. En effet, à force de prendre à la fois, la place de la mère, du père et du frère, toutes les responsabilités reposent sur Jack. Au point que même les adultes le considèrent comme un adulte.

Bien que l’histoire soit dramatique, Jack évite de trop sombrer dans les clichés. En montrant les choses simplement, le film possède un côté brut, émouvant, qui ne va pas dans le pathos. Les images s’expriment par elles-mêmes et les dialogues parfois absent permettent de délivrer le message plus efficacement. La caméra bouge au rythme des mouvements de Jack, recherchant sa mère pendant toute la durée du film qui s’est enfuit. Résultat, une dynamique s’installe, évitant les longueurs et l’ennui.

Drame de Edward Berger, avec Ivo Pietzcker, Georg Arms, Luise Heyer,…Allemagne, 2015, 1h43

 Sortie en DVD le 07 octobre 2015, Diaphana

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[Critique] Blind, imaginaire aveuglant

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Pour son premier film, le réalisateur norvégien Eskil Vogt a choisi un sujet rarement traité au cinéma : la cécité. Dès les premiers instants, nous sommes mis en condition à travers la vision tachetée de noire d’Ingrid. Vivant recluse chez elle depuis qu’elle a perdu la vue, cette ancienne professeur laisse libre court à son imagination pour s’offrir un monde visuel. C’est un mélange de fiction et réalité qui va animer le film. Quitte à se retrouver perdu.

C’est bien connu, la perte d’un sens éveil d’avantage les autres. Eskil Vogt va utiliser le toucher et l’ouïe pour relier Ingrid au monde extérieur. Enfin du moins sur l’environnement de son appartement, passant la plupart de son temps assise dans son fauteuil devant une grande fenêtre à côté de sa petite radio. Sans interaction sociale et avec un mari trop absent, elle va donc imaginer ce qu’elle pourrait voir et s’avérera paradoxalement être une fine observatrice. Ses pensées retranscrites en voix off vont nous plonger au cœur de ses réflexions et nous rendre proche d’elle.

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Son aveuglement qui aurait pu représenter un rempart devient alors le lien qui nous uni à elle en laissant son être intérieur transparaître. Pour occuper ses journées, Ingrid écrit alors sur son ordinateur des histoires sortant tout droit de son esprit avec pour personnages ses voisins ou son mari avec qui elle s’inventera un double. Et c’est là que le problème du film arrive. La séparation entre la réalité et la fiction est très confuse et nous ne savons pas vraiment où nous situer. Un cafouillage perturbant qui empêche de suivre avec facilité le film et qui focalise notre esprit sur ce soucis de compréhension. En passant d’une scène à une autre, Eskil Vogt rend floue le scénario.

Au delà de la situation d’Ingrid, Blind aborde aussi la solitude à travers ses autres personnages. Le rapport à l’autre est toutefois exprimé de façon très sensorielle. Quand Ingrid imagine son mari Morten rencontrer une femme par le biais d’internet ou un homme seul admirant en cachette sa voisine, c’est pour revivre les sensations qu’elle n’a plu. Chaque protagoniste est une part d’Ingrid. Les nouvelles technologies sont là pour combler le vide de leur vie et leur permettent de vivre de nouvelles émotions. Blind n’est donc pas un film qui se réduit à la cécité mais qui utilise ce prétexte pour mettre en interaction ce que vis Ingrid avec la place des individus au sein d’une société de plus en plus dématérialisé. L’ambiance froide ressenti correspond au manque de chaleur humaine vécu par les personnages, qu’elle soit psychique ou physique.

Blind est intéressant par son thème et sa façon d’aborder les choses mais déstabilise à cause d’un enchainement maladroit des scènes. La tentative d’analyse des rapports humains à l’ère de la société connectée était bien trouvée mais n’est cependant pas assez approfondie. Un premier film aux lacunes visibles mais prometteur.

Drame, Thriller de Eskil Vogt, avec Ellen Dorrit Petersen, Henrik Rafaelsen, Vera Vitali,… Norvège, 2015, 1h31

Sortie en DVD le 13 octobre 2015, KMBO éditions (page Facebook)

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[Critique] Le Tout Nouveau Testament, une mélancolie poétique

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Et si Dieu n’était pas vraiment cette figure divine que l’on pensait être ? Emmitouflé de sa vieille robe de chambre, c’est dans son petit appartement bruxellois que Dieu s’adonne à son activité préférée : pourrir la vie des gens. Derrière son ordinateur, dont l’accès est bien évidemment interdit à sa femme déesse (Yolande Moreau) qu’il maltraite et sa fille Ea (Pili Groyne), il écrit les lois les plus absurdes et terrifiantes qui soit. Pour se venger de ces actes, Ea décide d’envoyer les dates de décès au monde entier. Dieu va alors perdre contrôle mais ces nouvelles envoyées par SMS vont surtout faire surgir une question fondamentale qu’aborde le film à propos de ce que l’on veut faire de notre vie. Et pour mettre fin à toute la misère instaurée par son père, Ea, sous les conseils avisés de son frère J-C, représenté en statuette animée, va se rendre sur Terre. Elle va alors partir à la recherche de six apôtres qui suivront les douze de J-C afin d’écrire le tout nouveau testament.

Alors qu’à la vue de la bande-annonce on pouvait s’attendre à une comédie loufoque, l’atmosphère du Tout Nouveau Testament se révèle également être plus sombre qu’il n’y paraît. L’originalité de ce film réside dans son fil conducteur sur la façon dont on vivrait si l’on connaissait la date de notre fin de vie. Cette réflexion mise en scène à travers les histoires des différents apôtres apporte une plus grande dimension au film. Son univers onirique, poétique, confronté à la brutalité de la réalité, est justement dosé avec un humour noir qui peut faire rire ou toucher. Le style du film, très soigné, renforce chaque histoire présenté et défini un univers à part. Les personnages, tous particulier à leur façon, se dévoilent les uns après les autres avec fluidité. Le scénario s’enchaine facilement et on ne tombe pas dans les longueurs et les éparpillements.  Il est facile de s’y retrouver auprès des personnages malgré qu’ils peuvent être marginal. Le réalisateur fait passer à travers eux, des émotions universelles, des réactions humaines et des idées sur notre façon de vivre.

Le Tout Nouveau Testament, derrière un Bruxelles grisâtre et une ambiance mélancolique, tente d’apporter de la lumière par ses personnages et en véhiculant cette envie de vivre. Un jolie film, touchant et drôle, qui ne passe pas inaperçu. Et c’est peut-être pour cela que le film représentera le Belgique pour l’Oscar du meilleur film étranger en 2016 !

De Jaco Van Dormael, avec Pili Groyne, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, Catherine Deneuve, François Damien,… 2015, Belgique, 1h53

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[Critique] Natür Therapy, introspection nordique

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Désireux de quitter le temps d’un week-end la routine habituelle des moments en famille et entre amis, Martin décide d’aller se ressourcer dans la nature. Second film d’Ole Giæver (acteur et scénariste aussi), Natür Therapy nous plonge encore une fois au milieu des paysages nordiques mais cette fois-ci de façon plus intimiste.

La quasi-totalité du film ne tourne qu’autour d’un seul personnage qui nous fait part de ses pensées. Des plus banales aux plus osées, ses réflexions que l’on entend à chaque instant centralisent au plus près le personnage au sein du film. Si cette évasion spirituelle peut rappeler celle de Into the Wild, elle n’est cependant pas la même. Ne s’épanouissant plus dans sa vie, Martin se remet en question et fait bouillonner ses pensées. Tellement, que même les grands paysages n’arrivent pas à nous donner ce vrai sentiment d’évasion. Le film se renferme trop sur son personnage et ne communique pas assez avec son décor pourtant mis en valeur et très présent. Ce voyage initiatique au fond de la nature est une idée de départ intéressante mais ne décolle cependant pas vraiment. Les déambulations autant physiques que mentales de Martin restent trop renfermées. La caméra qui suit au plus près le héros ne nous permet également pas de nous en détacher, si ce n’est qu’en elle s’en détache, l’isole.

Se couper de l’agitation constante, revenir sur son passé, envisager son futur et se questionner sur son mode de vie, tels sont les sujets pouvant toucher chacun d’entre nous que le film aborde. Seulement, bien que l’initiative soit bonne avec bon nombre de propos enrichissant, réussir à rendre attractif une introspection mentale est compliquée. Le rythme très lent du film, suivant pas à pas Martin, commence de plus à nous faire perdre patience. Tout comme le personnage cherchant un sens à sa vie sans trop savoir où aller, nous tournons en rond au gré de ses réflexions. Et c’est ce que la fin de Natür Therapy confirmera lorsque Martin retourne à la civilisation, n’ayant pas réussi à sortir véritablement de son cercle quotidien.

Comédie dramatique de Ole Giæver, avec Ole Giæver, Rebekka Nystabakk, Marte Magnusdotter Solem,... Norvège, 2015, 1h20 
Critique en partenariat avec Epicentre Films, distributeur. 

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[Critique] American Ultra, comédie cool et décontractée

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L’allure complètement stone de Mike Howell (Jesse Eisenberg) est loin de faire douter qu’il est un ancien agent secret. Tellement loin qu’il ne le sait même plus (sa mémoire a été effacée). Alors qu’il mène sa petite vie dans une ville (un peu vide) des Etats-Unis, lui et sa copine Phoebe (Kristen Stewart) roucoulent paisiblement en fumant des joints jusqu’à ce que le gouvernement américain ne vienne tenter de le faire disparaître. Face à l’effarement et l’incrédulité de Mike lorsqu’il découvre ses capacités, les scènes d’actions complètements absurdes sont de mise.

La bande-annonce nous laissait envisager un film délirant et bien barré, sans aucun répit.. Et bien ce n’est pas tout à fait ça ! Même si l’histoire semblait bien partie pour cela, le côté déjanté du premier film de Nima Nourizadeh, Projet X, semble n’avoir déteint qu’à moitié. Cette comédie d’action lorgne souvent sur le romantisme et sa coolitude est malheureusement faussé par un sérieux manque de rythme. Et cette absence se ressent. Dommage, car le film est plutôt efficace en lui-même.

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Décalé et fun, quelques scènes notamment celle où Mike découvre ses capacités sont bien conçues. La violence gratuite, au cœur des scènes d’action, n’est pas très démonstrative et ne va pas jusqu’au bout. Il y manque clairement l’énergie et l’entrain du très réussi Kingsman : services secrets, sortie en début d’année. Manquant d’originalité, les plans ne détonnent pas et le montage n’aide pas à rendre l’action plus efficace. La situation comique qui devrait se produire lors des scènes d’actions avec Mike Howell ne savant pas se contrôler n’a pas vraiment lieu à cause de séquences précipitées et peu recherchées.

Heureusement, il y a un point fort indéniable à American Ultra : son casting. Le duo Jesse Eisenberg/Kristen Stewart que l’on avait déjà pu voir dans le sympathique Adventureland : un job d’été à éviter est un vrai atout. L’alchimie fonctionne parfaitement entre eux deux qui savent décidément faire le grand écart en matière de films.

Le scénario ainsi que son casting avait de quoi nous ravir mais American Ultra ne joue pas ses cartes à fond pour marquer les esprits.

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De Nima Nourizadeh, avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Topher Grace, Connie Britton,... 2015,1h36

L’Eveil d’Edoardo, plus qu’une fraîcheur estivale

C’est au bord des côtes italienne, sous un soleil radieux et derrière le bruit des vagues, qu’Edoardo va tenter de s’éveiller face à sa vie sentimentale et personnelle. Un peu chétif et complexé, l’été sera synonyme pour lui des premiers émois au côté de son ami Arturo, bien plus confiant quant à ses futurs conquêtes. Si tous les deux souhaitent avoir des rapports sexuels, Edoardo, adolescent sensible et intelligent, doit surtout faire face à sa phimosis qui l’empêche d’accomplir cet acte.

Traité avec finesse, ce sujet qui s’ajoute à l’histoire qui aurait pu rester banale donne une seconde dimension au passage à l’âge adulte et aux difficultés rencontrés. A l’heure des premiers émois, des nouvelles responsabilités, le film ne va pas dans les clichés et facilités de narration d’un teenage movie de base. Bien plus sérieux mais aussi doté d’humour, L’Eveil d’Edoardo capte par sa légèreté de ton et sa façon d’aborder ou de montrer des scènes un brin provoquantes de manière décomplexée.

Le réalisateur n’a en effet pas peur de choquer, mais use de délicatesse pour faire passer cela. En essayant de rendre compte de la réalité le plus fidèlement possible, l’aspect naturel et insouciant empêche de laisser place à la vulgarité. Provoquant, parfois, mais jamais choquant, la subtilité du film apporte une fraîcheur estivale intelligente et bien plus sérieuse que ce que l’on aurait pu penser. Abordant les multiples préoccupations d’Edoardo, le film jongle entre la douceur de la romance et la complexité d’un sujet plus osé, représentant un obstacle aux désirs du personnage. Le réalisateur Duccio Chiarini, qui réalise ici son premier long-métrage, s’est d’ailleurs inspiré de son propre vécu pour retranscrire le plus sincèrement les émotions des personnages. Les acteurs, pour la plupart amateur, occupent l’écran avec simplicité et sont tous très juste. Matteo Creatini, qui joue le héros et est présent dans la majorité des plans, transmet une véritable tendresse et réussi le défi de donner à son personnage autant d’innocence que de complexité qu’au film.

De Duccio Chiarini, avec Matteo Creatini, Franscesca Agostini, Nicola Nocchi,…2015, 1h26

En salle le 17 juin 2015

Critique en Partenariat avec Epicentre Films, distributeur du film.

It Follows, fuir la menace à tout prix

N’étant pas une adepte des films d’horreur, It Follows avait pourtant retenu mon attention après ses passages remarqué notamment à la Semaine de la Critique à Cannes en 2014, où encore au Festival de Toronto et de Deauville. Beaucoup l’on d’ailleurs nommé comme étant l’un des meilleures films d’horreur de ces dernières années. Rien que ça. Et il faut bien se l’avouer que ce film en a tous les atouts. De quoi nous réconcilier avec le genre et lui redonner par l’occasion un vent de fraîcheur. A la fois un mix avec le teenage movie (que l’on retrouve beaucoup dans les autres réalisations horrifiques), It Follows reprend certains codes mais s’éloigne nettement des films d’horreurs commerciales, trop souvent stéréotypé.

Partant d’un pitch simple mais original, Jay (Maika Monroe) se retrouve confrontée à la vision de n’importe quelle apparence humaine la poursuivant pour la tuer après un acte sexuel qui lui a transmit cette malédiction, l’histoire est servie par une atmosphère sous tension, inquiétante et surtout floue. Tout comme Jay, nous ne comprenons pas ce qui se passe, la situation est incontrôlée et l’effet de surprise est toujours présent. Nous avons cette sensation d’être suivie, ou parfois d’être le suiveur, et analysons ce qui nous entoure avec suspicion. L’attention est captée et le regard est alors très sollicité. Et cela d’autant plus avec une magnifique photographie qui laisse planer le vide et la froideur de Détroit au côté d’une mise en scène impeccable.

Ici, pas de pataquès, la tension se suggère naturellement et est embelli par une musique électrisante, s’intégrant parfaitement. It Follows n’est pas totalement un film d’horreur pur et dur. Le film ne cherche pas à nous terrifier et n’est pas dans la démonstration gratuite. La peur ne se voit pas, elle se ressent. La « menace » qui suit Jay, est indétectable et peut surgir à tout moment. C’est ce qui fait que la peur s’installe plus dans l’atmosphère, froide, mais en nous offrant tout de même quelques sursauts. Le mystère reste omniprésent tout le long du film.

L’aspect réaliste du film, est de plus desservie par un groupe d’adolescents très naturel et attachant. Un peu perdu dans leur vie, en plein dans le passage à l’âge adulte, ils sont montrés de façon mature et responsable. On pourra remarquer aussi l’absence de personnages adultes. Livrés à eux mêmes, ils sont donc seuls face à cette étrange malédiction tout comme devant leur avenir. Loin des clichés auxquels les teenages movie ont pu nous habituer, les acteurs ne rassemblent pas les critères habituels.  L’interprétation de Jay par Maika Monroe est très naturel et dépasse son physique inoffensif. On pourra seulement regretter que les personnages secondaire soient peu exploités, faisant parfois juste office de présence.

De David Robert Mitchell, avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Jake Weary, Daniel Zovatto,… 2015, 1h40

DVD sortie le 4 juin 2015, distribué par Metropolitan Filmexport 

Critique en partenariat avec Cinétrafic dans le cadre de DVDTrafic. Comme It Follows est ce qui ferait un top film pour une soirée film d’horreur, retrouvez en plus sur leur site : http://www.cinetrafic.fr/film-d-horreur

Girls Only (Laggies), la crise de la trentaine

Peut-on rester jeune toute sa vie ? Arriver à la trentaine, l’insouciance ne semble plus être autant de mise. Voir ses amies se marier l’une après l’autre, fonder leur famille, peut être assez angoissant. Et Megan (Keira Knightley) semble effrayée à cette vision. Après avoir perdu son boulot et devant son mari, tout gentil, qui lui parle bébé et mariage, la jeune femme se retrouve dans l’impasse, entre sa vie d’adulte et sa vie d’adolescente. Pour méditer à tous ses problèmes existentiels, Megan va s’octroyer une semaine de remise en question pour faire le point sur ce qu’elle veut vraiment faire de sa vie en hébergeant chez Annika, 16 ans .

Présenté à Sundance en 2014, Girls Only ou plutôt Laggies (l’original est quand même mieux !) aborde un sujet que l’on connaît bien de manière légère mais sérieuse néanmoins. Contrairement à l’affiche française ainsi que son titre, ce n’est pas un film « girly », même si il est bien représenté par la gente féminine (la réalisatrice, la scénariste et les rôles principaux). Pour mieux comprendre son état d’esprit, il faut se pencher sur le sens de « laggies ». Bon, pas la peine d’aller chercher dans le dico, ce mot est une pure invention de la scénariste qui à l’époque du lycée, l’utilisait pour désigner ses camarades en retard. Ici, le terme collait donc parfaitement  au personnage de Megan, elle aussi apparaissant comme en retard par rapport à sa vie d’adulte. Encore attachée à son adolescence, c’est à travers sa rencontre avec Annika et ses potes qu’elle va « revivre » ses plaisirs de jeunesse. Un moyen d’échapper de son monde d’adulte oppressant.

Sans trop de longueur, cette comédie douce et agréable nous propose de passer un bon moment. Tout en restant simple et sans apporter de complication, Girls Only ne devient pas pour autant ennuyant et  réussi à nous transporter dans les questionnements de Megan. Le film qui est mature manque cependant d’un peu de piquant. Son sujet, intéressant à exploiter, peut toucher tout le monde mais n’est pas assez creusé pour lui donner une véritable ampleur. Tournant de plus en plus vers le côté romantique lorsque Megan se rapproche du père d’Annika, joué par le très bon Sam Rockwell, Girls Only loupe le coche. Se détacher des conventions des films de ce genre pour explorer d’avantage les pensées de Megan aurait été intéressant et plus accrocheur. Mais la force indéniable du film revient aussi à ses personnages amusant et attachant, où le duo Keira Knightley/Chloë Grace Moretz fonctionne parfaitement. La fraicheur et le charme naturel de Keira face à la maturité de Chloë apporte une certaine crédibilité à leur surprenante amitié. Et on aurait d’ailleurs bien voulu que le film nous surprenne un peu plus !

De Lynn Shelton, avec Keira Knightley, Chloë Grace Moretz, Sam Rockwell, Kaitlyn Dever, … 2015, 1h41

[Critique] Le Dos Rouge, de Antoine Barraud

Saisir l’insaisissable dans une réalité hors du temps, c’est un peu de cette façon que l’on pourrait définir l’atmosphère du deuxième film de Antoine Barraud, Le Dos Rouge. Les musées, lieux propices à la contemplation, deviennent le théâtre imaginaire de Bertrand (Bertrand Bonello), un cinéaste en quête d’inspiration pour son prochain film, consacré à la monstruosité dans la peinture. Où plutôt, est-il à la recherche du monstre parfait qui le fera frissonner. Dans un flottement total, nous sommes bercés au gré de ses tableaux, tous plus captivant les uns des autres, sans trop se soucier de l’issue qui sera proposée.

Le Dos Rouge ne se laisse pas aborder tout seul. Il faut prendre le temps de l’apprécier, comme si l’on regardait un tableau en faite. L’image architecturale, jouant avec la symétrie des monuments parisiens, laisse s’imprégner une idée de grandeur, inatteignable. Mais si cela pourrait se refléter dans les tableaux, que ce soit par leur beauté, leur étrangeté ou leur côté impressionnant, ils ne sont néanmoins pas voués à nous laisser de marbre. A travers le regard curieux et imaginatif de Bertrand et de Célia Bhy (Jeanne Balibar), historienne de l’art, qui accompagne le cinéaste dans ses pérégrinations artistiques,  les œuvres se livrent à nous. Les personnages livrant leurs interprétations personnelles et spontanées, poussent à l’observation. Ce goût du visuel et de l’esthétisme, un brin philosophique est d’autant plus mis en valeur grâce aux commentaires qui planent au dessus de ces plans serrés sur la peinture.

Faute de posséder une réelle intrigue palpitante, ici c’est l’art qui devient intriguant. L’œil de Bertrand entre en notre possession et de ce fait, ses émotions se transmettent plus simplement. Un double regard qui fusionne en somme, effaçant une dualité qui aurait pu faire barrage et empêcher de comprendre le personnage. D’ailleurs, l’aspect hybride fait partie intégrante du film avec la construction d’un film dans un film, un cinéaste nommé Bertrand joué par un cinéaste nommé Bertrand (Bonello), le réelle et l’irréelle qui se confondent. La touche de fantastique vient rendre l’univers du film encore plus à part, comme si cette bulle artistique échappait à la réalité. Le monstre que cherche Bertrand s’avère être présent un peu partout mais sans jamais vraiment se dévoiler comme en témoigne la marque rouge au dos du cinéaste. Les multiples fantaisies qu’offre la mise en scène percutent, déstabilisent et surprennent, donnant un style particulier et rythmant l’action. Au milieu d’un Paris bourgeois, le réalisateur Antoine Barraud qui préfère l’impureté à la pureté, a distillé une forme de monstruosité dans son film pour rester paradoxale.

Les acteurs, au naturel charismatique, portent le film avec simplicité et sophistication. Avec un rôle écrit sur mesure, Bertrand Bonello reste classe et nonchalant au côté de Jeanne Balibar, désinvolte et étrange mais jamais perturbante. Les personnages féminins transmettent toutes du caractère et de l’émotion en étant énigmatique. On peut alors librement se questionner sur elles et imaginer de multiples interprétations. A la fois accessible et inaccessible, Le Dos Rouge, dont le tournage s’est déroulé sur trois années, offre de vrai moment captivant avant de s’essouffler parfois. Ambitieux et singulier, le film transmet cette fascination de l’art et a le don de le mettre à l’honneur, que ce soit dans sa beauté ou sa laideur.

Le Dos Rouge, comédie dramatique d’Antoine Barraud, avec Bertrand Bonello, Jeanne Balibar, Géraldine Pailhas, Joanna Preiss,… 2h07, 2015

Sortie en salles : le 22 avril 2015

Critique en Partenariat avec Epicentre Films, distributeur du film.

http://www.youtube.com/watch?v=ohKoNgQBkws